La « territorialité mobile ». Réflexion sur l’identification et la conceptualisation des relations entre territorialité et mobilité

La « territorialité mobile ». Réflexion sur l’identification et la conceptualisation des relations entre territorialité et mobilité

Ce séminaire a pour principal objectif de poursuivre la réflexion et d’apporter de nouvelles contributions (aussi bien épistémologiques, théoriques que méthodologiques) à la notion de territorialité-mobile, dont on voit qu’elle est utilisée par des chercheurs différents avec des significations nuancées, et commence à être citée, notamment dans des travaux de doctorants. D’autres recherches portent sur cette articulation entre territorialité et mobilité mais proposent d’autres termes et questionnements pour l’approcher. Il s’agit donc de discuter de la manière dont peut être approchée, identifiée et dénommée cette relation, et de débattre de sa pertinence et sa place dans les approches respectives de la territorialité et de la mobilité.

Le séminaire est réalisé en partenariat avec l’UMR Citeres et l’équipe Territoire et Mobilité du CIST

 

Contexte d’émergence et pertinence de la notion de territorialité mobile

Avec l’émergence, au cours des années 1990 et 2000, d’une société à « individus mobiles » (Stock, 2001), qui se caractérise, pour une grande part de la population, par un accroissement progressif de la mobilité dans tous les actes du quotidien, les conceptions du territoire et de l’habiter jusque là élaborées en géographie vont peu à peu être réinterrogées et critiquées (Vanier et alii, 2009, Piolle, 1991 ; Chalas, 1997 ; Stock, 2006 ; Cailly, 2007).

Différents travaux examinent la construction de nouveaux modes de vie sous l’effet de la mobilité, et tentent de dépasser les approches fonctionnelles (Terrhabmobile, 2013). Ils montrent notamment que le temps du déplacement, loin de constituer un « temps mort », peut être investi par les individus, qui y développent le plus souvent des activités et sociabilités spécifiques (Meissonnier, 2001 ; Lanéelle, 2004, 2005 ; Flamm, 2005 ; Daems, 2007 ; Frétigny, 2011 ; Tillous, 2009, 2012). D’autres examinent les stratégies ou les représentations, qui régissent les parcours et permettent d’intégrer la mobilité dans  l’organisation des activités quotidiennes (Chardonnel, …). Ces approches contribuent à donner susbtance et sens aux déplacements.

Elles ont conduit à élaborer la notion de territorialité mobile, laquelle vise à explorer la mobilité  dans ses relations avec les logiques de la sédentarité, de la continuité et de la proximité, généralement considérées comme relevant d’une métrique territoriale. Pour Nadine Cattan, cet oxymore invite à réinterroger le territoire et à penser la mobilité dans les mêmes termes que le territoire, c’est-à-dire comme « un vecteur de production sociale et spatiale » (Cattan, 2014). Les travaux menés dans le cadre de l’ANR TerrHab[1] (2010-2014) montrent quant à eux, à partir d’une analyse du vécu des habitants d’espaces périurbains, comment la mobilité prend place dans leur expérience spatiale, et en quoi il existe chez ces derniers une dimension intégrative entre l’espace-temps de la mobilité et celui de la sédentarité, contribuant par là même à créer une entité spatiale composite. Le géographe Jean-Baptiste Frétigny travaille lui aussi ce lien et réinterroge la dialectique territoire/réseau, à partir de l’analyse des pratiques au sein des aéroports l’amenant  à parler de « territorialité en réseau » [Frétigny, 2013]).

C’est au cours des travaux menées dans le cadre de l’ANR TerrHab qu’une définition développée de la territorialité mobile va être proposée : « Elle désigne un agencement de lieux et de moments investis de significations, d'usages ou encore de sociabilités qui, dans l’ordre du vécu, tissent des liens et assurent la continuité entre les sphères socio-géographiques de l'individu. Elle se fonde sur l’idée que la mobilité spatiale, comme principe de gestion des distances et d'accès aux ressources, est une activité fondamentale de la vie des individus et, par là-même, un cadre de l’expérience. » (Cailly, à paraître).

 

Cette dimension apparaît en examinant la mobilité en tant qu’expérience individuelle et sociale, d’un point de vue praxéologique (actes, compétences, ressources), axiologique (normes, valeurs, culture) et interactionniste (rapport à soi, aux autres et aux objets). Elle demande aussi d’en observer les effets sociaux, notamment au travers des situations spatiales qu’elle génère, et qui sont productrices de rapports sociaux et spatiaux, de constructions sociales originales qui s’articulent avec celles qui procèdent de l’habiter sédentaire.

Cette approche s’avère d’une grande richesse et rejoint des champs d’investigation émergents des mobility studies : interactions entre passagers dans les habitacles ou les lieux de transit, mouvements sociaux, compétences et ressources de mobilité, temporalités et routines, covoiturage, technologies de communication/technologies de transports, etc. La notion de territorialité-mobile a ici l’intérêt de mettre l’accent sur les relations (symbolique vs fonctionnel, individu vs collectif, réseau vs territoire, mobilité vs habitabilité) par lesquelles l’individu construit son rapport au monde au travers de spatialités multiples.

Principaux objectifs du séminaire

Nous proposons un séminaire pour poursuivre la réflexion sur la notion de territorialité mobile, en estimer la valeur heuristique, en examiner la capacité à constituer un cadre d’analyse de la relation entre les territorialités de la mobilité et les territorialités du « fixe ». Nous partons du postulat que les unes procèdent des autres ; pour faire image, nous pourrions dire que nous cherchons à dévoiler une autre figure que celle, devenue classique, de l’archipel : la mobilité n’est pas seulement un pont entre lieux insulaires, mais un facteur de constitution des territoires et des territorialités. Il s’agit alors, pour une part, de comprendre la production de la territorialité composite qui en résulte et d’autre part, de dessiner les conditions de cette compréhension, du point de vue des paradigmes, des démarches théoriques, des objets, etc.

Cet objectif nécessite :

- des analyses empiriques, permettant d’approfondir la connaissance de cette territorialité mobile mais aussi de faire émerger des problématisations et des objets heuristiques pour l’analyse (opérateurs de réseaux, comités d’usagers, patrimonialisation des routes, genre, )  

- une identification des champs thématiques concernés, notamment émergents, qui questionnent l’agencement des territorialités. Géographie des passagers, territorialité de la route, itinérance, mobilité partagée…, tournent autour de cet objet, avec certes des questionnements qui leur sont propres, mais aussi des cadres paradigmatiques communs. La territorialité mobile peut représenter une notion permettant a mimina d’instaurer un dialogue – sans prétention englobante !

- une réflexion sur les outils et démarches théoriques (pragmatisme, interactionnisme, géographie du sensible) ou aux objets  mobilisés dans cette nouvelle appréhension (habiter, durabilité, motivations).

-  un ou des ateliers de mise à l’épreuve de propositions théoriques, notionnelles ou empiriques, notamment au travers des néologismes produits dans le cadre du programme ANR terrhab.

Mise en œuvre

Dans un premier temps, nous souhaitons procéder à l’identification de cette notion, en sollicitant des intervenants qui l’utilisent et/ou qui l’alimentent. Nous les interrogerons sur l’intérêt heuristique qu’elle revêt pour eux, la façon dont ils en dessinent le champ, les pistes de travail sur lesquelles elle ouvre, etc … Cette première séquence permettra éventuellement de construire une programmation pour d’autres séances.

[1] Ce projet de recherche (2011-2014), financé par l’ANR Espace et Territoire et composé d’une équipe pluridisciplinaire (rassemblant à la fois des géographes, sociolinguistes, architectes, anthropologues et sociologues), avait pour principal objectif de comprendre les grandes périphéries des villes et des métropoles, alors qu’elles sont de plus en plus habitées, étaient réputées comme étant inhabitables, et dénoncées comme la moins bonne façon d’habiter les territoires, selon les valeurs sociales, fonctionnelles économiques et environnementales dominantes.

Intervenants

Laurent Cailly, enseignant-chercheur, UMR CITERES , Université de Tours

André-Frédéric Hoyaux, enseignant-chercheur, UMR Passages, Université Bordeaux-Montaigne

Nadine Cattan, directrice de recherches, UMR Géographie-cités

Jean-Baptiste Frétigny, enseignant-chercheur, UMR Géographie-cités, Université de Cergy-Pontoise

Animation et organisation

Marie-Christine Fourny, Pacte

Pierre-Louis Ballot, doctorant, Pacte 



Chercheur.e.s impliqué.e.s : 

Contact : 
Pierre-Louis Ballot