Deuxième journée "jeune recherche"
Pour la deuxième année consécutive, des doctorants du laboratoire Pacte (Université Grenoble Alpes, Sciences Po Grenoble, CNRS) s’associent avec des doctorants d’un autre laboratoire, cette année le laboratoire Territoires, Villes, Environnement et Société (Université de Lille 1, Université du Littoral Côte d’Opale) pour co-organiser une journée d’étude à destination de la jeune recherche.
Chaque année, un sujet de réflexion différent est proposé afin de stimuler les échanges sur des thématiques communes et aider à la construction d’un réseau interdisciplinaire et inter-laboratoire de doctorant.e.s et de jeunes chercheur.e.s.
La journée d’études 2017 porte sur l’action collective appréhendée à la fois par ses pratiques (identifier et caractériser les pratiques du collectif) et ses lieux (espaces et échelles).
La journée s’organise sous la forme de panels composés de communications orales de 10 à 15 minutes. Chaque panel est suivi d’un débat sous la forme d’une table-ronde.
Contexte
La conduite des actions humaines et la prise de décision représentent un vaste champ d’interrogations pour les sciences humaines et sociales. La logique cartésienne a d’abord dominé notre façon de penser le monde et de trouver des solutions aux problèmes qui nous entourent : il s’agissait de « diviser chacune des difficultés [...] en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre » (Descartes, 1637). La maîtrise de l’environnement était alors le maître mot est cela a inévitablement eu des répercussions sur l’action collective.
Au cours du 20ème siècle la pensée analytique est en partie remise en cause. Gaston
Bachelard appelle par exemple à se défaire de la logique cartésienne dans son ouvrage Le Nouvel esprit scientifique (1934). Le concept de « rationalité limitée » développé par Herbert Simon s’inscrit dans cette ligne critique : en s’intéressant à la prise de décision au sein d’organisations, l’économiste et psychologue américain montre qu’un individu décide en ayant connaissance d’une parcelle seulement de toutes les informations. Les années 1980 marquent la fin de la pensée analytique avec des chercheurs parmi lesquels Edgar Morin et Jean-Louis Le Moigne, qui formulent et définissent la notion de « pensée complexe ». « Le vrai problème, c’est que nous avons trop bien appris à séparer. Il vaut mieux apprendre à relier » (Morin, 1995, p.110).
Par ailleurs, si scientisme et positivisme ont inscrit les méthodes et avancées scientifiques comme voies vers le progrès et facteurs du développement de la société – science et progrès devenant les axes inséparables de la conduite des sociétés – cette vision tend à s’effacer à la sortie des deux guerres mondiales et doit composer avec une posture critique envers le progrès scientifique, dont l’apogée est atteinte suite à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. La notion de risque, dont la caractéristique est d’être maîtrisable, se trouve détrônée par celle d’incertitude, non prévisible (Beck, 2001). La figure de l’expert, jusque-là considéré comme garant des décisions prises en matière de politiques publiques, est violemment interpellée : on assiste alors à la montée en puissance du rôle de la société civile dans la prise de décision publique et les débats qui l’entourent (Callon, Lascoumes, & Barthe, 2001).
Cependant, alors que les effets des avancées scientifiques sont fortement questionnés, on observe une injonction permanente à innover dans une société mondialisée et concurrentielle, innovation tant scientifique que sociale. De ce constat, deux évolutions peuvent être soulignées :
- l’apparition du terme « usager » dans le vocabulaire quotidien, qui traduit un changement dans la façon de concevoir le public et son rôle : on tend à passer du consommateur et du client, à l’usager et au consom’acteur qui aurait son mot à dire sur ce qu’on lui propose. Les autorités publiques tendent alors à accorder une dimension bien plus citoyenne aux individus, reflet du « nouvel impératif participatif » (Blondiaux, 2008) qui traverse l’action publique et permettrait de lui redonner de la légitimité (Isaac, 1992). Essor donc, d’une démocratie dite participative qui tend aussi à institutionnaliser les mouvements sociaux (Bacqué, 2005).
- un changement dans les systèmes de production : la rationalisation extrême mise en œuvre dans le taylorisme et le système hiérarchique au sein des organisations tend à laisser la place au fonctionnement par projet, plus souple et s’appuyant sur un réseau d’acteurs pour fonctionner (Boltanski & Chiapello, 1999), parmi lesquels l’on compte désormais les citoyens, pour ce qui concerne les projets urbains, mais dont le degré d’implication varie fortement suivant les configurations locales (Gardesse et Grudet, 2015).
A l’issue de cet ensemble de constats retraçant les évolutions notables concernant la prise de décision et l’action collective dans les organisations tant privées que publiques, nous
posons la question suivante : Prise en compte des usage(r)s dans l’action collective : quelle(s) pratique(s) et quel(s) lieu(x)?
Axes de questionnement
Axe 1 . L’action collective : identifier et caractériser les pratiques du collectif
Comme énoncé précédemment, le terme « projet » est apparu dans les années 1990 et s’est diffusé de façon importante. Insistant sur la flexibilité des participants, le projet s’appuie sur un ensemble d’acteurs réunis par un but commun. Mais plusieurs interrogations peuvent être soulevées quant à la nature de l’action collective :
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Comment et dans quelles conditions se met en place un échange? Comment et autour de quoi se forme un collectif ? Existe-t-il des facteurs assurant le succès d’une action collective, des facteurs influençant le succès ou d’échec de l’action collective ? L’action collective, un sujet “à la mode” ou produit-t-elle réellement des espaces de contre-pouvoirs à différentes échelles?
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La différence de nature entre les objets mobilisant une action collective entraîne-t-elle une différence de nature de l’action collective ?
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Comment nommer les (nouvelles) configurations qui se forment ? Peut-on parler de différentes typologies de l’action collective? Quelle(s) évolution(s) dans la caractérisation des actions et des pratiques collectives ?
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La mise en place de projets d’action collective ne présente-t-elle que des avantages ? Quels sont les impacts de l’institutionnalisation de l’action collective ? Quelle(s) posture(s) critique(s) peut-on adopter?
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Quelle place occupe l’action collective dans les différentes formes d’accès, de gestion et d’usage des ressources et biens communs? L’action collective, constitue-t-elle un modèle de réussite de coordination des actions individuelles et du bien commun ? De la sphère individuelle à la sphère collective, les modalités de l’action collective produisent-elle des formes d’exclusion?
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L'agir collectif détermine-t-il dans certaines configurations particulières le statut de certains objets comme le suggèrent par exemple des travaux actuels autour du commun (Dardot & Laval, 2014) ?
Axe 2 . Les Lieux du collectif : espaces et échelles
L’action collective fait preuve d’une certaine plasticité dans son utilisation et, de fait, recouvre une certaine hétérogénéité. Elle désigne un nombre plus ou moins important d’individus, autour d’objets d’ampleur plus ou moins grande, qui se regroupent et s’organisent dans des lieux spécifiques :
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Quels sont les (nouveaux) lieux du collectif ? Comment se (re)produisent et (re)composent-ils ? L’espace public est-il toujours un lieu du collectif ? Un espace d’apprentissage de la tolérance et des solidarités ?
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Comment le numérique et plus globalement les nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) créent des (nouveaux) lieux du collectif ? Quel rôle joue le numérique dans la mise en place de stratégies au service du bien commun et de l’action collective ? Quelles en sont les traductions spatiales ? Quels outils y sont déployés ?
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Quelles reconfigurations des projets à l’échelle régionale et métropolitaine suite à la nouvelle organisation territoriale (loi MAPTAM) ? Quels changements de l’action collective en raison des reconfigurations territoriales ?
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Quelles conséquences de la montée en puissance des acteurs locaux sur la nature, la taille et la gouvernance des objets et des projets ? A quoi reconnaît-on un projet urbain mené collectivement ?
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Quelle prise en compte des usages mobilisant au quotidien des échelles et espaces vécus différenciés dans une action collective?
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Les outils de l’action collective : espace du projet et espace de la concertation : deux espaces de débat in(ter-)dépendants ?
Bibliographie
Bacqué M.-H. (2005). Action collective, institutionnalisation et contre-pouvoir : action associative et communautaire à Paris et à Montréal, Espaces et sociétés, n°123, pp. 69-84 Beck A. (2001). La société du risque : Sur la voie d’une autre modernité [« Risikogesellschaft »]. Aubier. 521 p
Blondiaux L. (2008). Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative . Paris : Editions du Seuil. Coll. “la république des idées”. 109 p.
Boltanski L. & Chiapello È. (1999). Le nouvel esprit du capitalisme . Paris : Gallimard. Coll. “nrf Essais”. 848 p.
Callon M., Lascoumes P. & Barthe Y. (2001). Agir dans un monde incertain . Essai sur la démocratie technique . Paris : Le Seuil. 358p.
Dardot P. et Laval C. (2014). Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle . Paris : La Découverte. 600 p.
Denèfle S. (dir.) (2016). Repenser la propriété. Des alternatives pour habiter . Rennes : Presses Universitaires de Rennes. Coll. “Essais”. 220 p.
Gardesse C. et Grudet I. (2015). Continuité et discontinuité de l’implication des habitants dans les écoquartiers. Le cas de la Zac Pajol à Paris. Développement durable et territoires . Vol. 6. n°2
Isaac J. (1992). L'espace public comme lieu de l'action. Les Annales de la recherche urbaine , N°57-58, Espaces publics en villes. pp. 211-217.
Le Moigne J.-L. (1999). La modélisation des systèmes complexes . Paris : Dunod. 178 p.
Morin E. (2014). Introduction à la pensée complexe . Paris : Seuil. Coll. “Essais”. 160 p.
Lewis E. et Slitine R. (2016). Le coup d’Etat citoyen, ces initiatives qui réinventent le monde . Paris : La Découverte. Cahiers Libres. 224 p.
Ostrom E. (2010). La gouvernance des biens communs : Pour une nouvelle approche des ressources naturelles. Etopia DeBoeck. 301 p.
Tonnelat S. (2016). Espace public, urbanité et démocratie. La Vie des idées . ISSN: 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Espace-public-urbanite-et-democratie.html
Contribution demandée
La proposition de communication devra traiter du sujet par une entrée thématique et/ou méthodologique et/ou un cas d’étude (ex : altermondialisme, projet de territoire, mouvements militants, espaces d’innovation, mouvements sociaux...) qu’elle soulève en 5000 signes au maximum , bibliographie incluse (Times New Roman, 11, interligne 1.5). Les proposants enverront également une courte biographie de trois lignes précisant le laboratoire de recherche, le sujet de thèse et les domaines de recherche.
Les propositions sont à envoyer à au plus tard le lundi 18 septembre 2017 . Les proposants seront informés des résultats de la sélection le samedi 30 septembre 2017. Le Comité d’Organisation proposera un programme complet de la journée pour le 22 octobre 2017. Une valorisation est prévue dans un numéro spécial (revue à déterminer). Le texte complet des communications est attendu pour le vendredi 3 Novembre 2017 : 10 000 signes (espaces compris).