Si le rôle de la statistique dans la construction de l’État et la construction de la nation en Europe a fait l’objet de nombreux travaux d’historien.ne.s et de sociologues, en revanche, peu d’études mettent en avant le rôle spécifique joué par la statistique comme outil de gouvernement dans le cadre de la politique coloniale avant 1914. Bien que l’expertise statistique soit absente de l’administration coloniale française et allemande entre 1880 et 1914, des chiffres vont être compilés sur la population coloniale, selon des méthodes et des nomenclatures qui diffèrent de celles utilisées en métropole. Les classifications de la population traduisent une division binaire croissante entre colonisateurs et colonisés après 1900, désormais fondée sur des critères « raciaux », alors qu’auparavant d’autres critères semblaient plus pertinents.
Dans cette présentation, issue d’une thèse de sociologie et de science politique, nous nous attacherons à mettre en lumière à la fois les ressemblances au niveau des structures administratives et les différences du point de vue des nomenclatures entre les cas français et allemand. Dans une perspective de sociologie historique de l’État colonial, l’analyse des statistiques coloniales allemandes, qui constituent un champ encore inexploré de l’histoire coloniale, permet de jeter un éclairage nouveau sur le contexte colonial français et la production de savoirs quantitatifs en situation coloniale.
Léa Renard (Univ. Grenoble Alpes & Centre Marc Bloch)