NICOLE SILVE

docteur en sciences de l'éducation (1998)
Portrait de silven
Affiliation : 
Université Grenoble Alpes
Statut : 
Doctorante
Domaines de recherche : 
Sciences du langage
Narratologie
Anthropologie cognitive
Sociologie
Équipe de recherche : 
Courriel : 
Téléphone : 
0476821000
Bureau : 
open space doctorants
Adresse : 
1030 rue des Résidences 38400 ST MDH

Onglet(s)

Présentation

Domaines de recherche Research fields

           Avec une collègue enseignante de mathématiques, je me suis d’abord intéressée aux énoncés arithmétiques de problèmes, qui sont des sortes de mini-récits en langue naturelle combinant quelques données numériques, logiques et chronologiques en forme d’énigme : nous avons montré que pour la résoudre, l’élève doit opérer un travail personnel de réinterprétation entre langage naturel (social), et langage formalisé (universel). Ces processus interrogent la nature de la rationalité, entre les conceptions de Jean Piaget et celles de David Bloor, ainsi que la différence entre expliquer et comprendre.

          Puis, ayant vécu et enseigné en pays kanak (dont 3 ans parmi l’ethnie Lifou) dans le contexte des Accords Matignon (1988) j’ai travaillé dans un lycée expérimental de brousse axé sur les dispositifs d’Aide au Développement, et j’ai voulu comprendre sur quels obstacles s’échouaient les ‘Petits Projets’ formulés par les tribus, dont les membres, dotés d’un potentiel cognitif universel, aspiraient aussi massivement que partout ailleurs à la ‘modernité’. Cette question des ‘freins au développement’ soulevait aussi, en la déplaçant, la même question : celle de l’interdépendance entre cultures et cognitions. Or, les cultures ‘primitives’ ou ‘traditionnelles’, confrontées aux colonisations et à leurs suites dans les contextes sociaux et politiques les plus variés n’ont pas empêché certains pays d’Asie de rattraper en 50 ans 4 siècles de « retard ». Comment expliquer cette dissociation paradoxale entre la phylogénèse et l’ontogénèse du développement, tant au niveau collectif qu’individuel? Par exemple, qu’est-ce qui dissuade encore la plupart des ‘élites’ de ces peuples formées dans des écoles occidentales de revenir sur leur terre d’origine afin d’y impulser un développement « endogène » ?                       

          L’Anthropologie étudie le rapport entre formes sociétales et représentations. La socialité primaire, modelée par la parenté et les proches, est à l’origine des solidarités et des convictions premières/primaires de l’individu. Mais au sortir de l’enfance dans le monde moderne, une socialité secondaire se forme au croisement d’affiliations à de nombreux autres groupes, qui élargissent la distance entre le ‘je’ et le ‘nous’ au cours d’une sociogenèse récapitulant quelques millénaires d’évolutions : combinant division du travail, cités, commerce et régulations organisées de divers rangs, ces sociétés déjà multiculturelles ont été travaillées par les potentialités réflexives et cumulatives de l’Ecrit selon Jack GOODY , dans l’Antiquité méditerranéenne et en Asie du Sud-Est ; là, elles ont favorisé la croissance des connaissances. En Occident, ces processus ont conduit à l’individualisation (Elias), aux échanges et à la coopération des points de vue (Piaget), accélérateurs de changements partout où ils ont été valorisés et diffusés : entre le je et les nous des sous-groupes environnants, le rapport sociétal a mué, l’allégeance a pu se détacher de l’appartenance.

            Les récits imaginaires -créés en classe à ma demande- par des lycéens kanak sont saturés des traits sociétaux et culturels décrits par l’Ethnographie mélanésienne . Ils présentent également des traits de réinterprétation mythique générés par le contact avec la modernité . L’analyse narratologique de ces petites œuvres éclaire de l’intérieur les attitudes sociocognitives spécifiques de l’épistémè primaire : seule la filiation à l’ordre ancestral du Clan détient la légitimité cognitive. Attirés par la modernisation de leur culture matérielle, ayant scolarisé leurs enfants, les pays du Sud où règnent encore l’Oralité et les Clans éprouvent des difficultés persistantes de développement, car ils conservent l’essentiel de leurs traits sociétaux et épistémologiques .

           L’Histoire des mentalités confirme leur existence à l’origine de la Mésopotamie (Bottéro) ; et l’analyse des mythes et de la pensée chez les Grecs, montre qu’ils évoluent en liaison avec les usages de l’écriture « Mise sous le regard de tous par le fait même de sa rédaction, la formule écrite sort du domaine privé… pour se situer sur une autre plan : elle devient chose publique… et participe du politique »(Vernant). Durant 5000 ans, l’usage presque continu des signes écrits et leur diffusion croissante ont démultiplié les potentialités réflexives du langage, transformé les modes de vie, de travail, de lecture : la Literacy et l’Anthropologie occidentale se sont construites ensemble . A mon retour en France, j’ai fait une étude comparative des imaginaires narratifs de trois cultures : kanak, française, maghrébine, à partir de récits recueillis en classe de lycée.. La permanence et l’évolution de ces traits épistémologiques et sociétaux s’y exposent : le rapport au savoir, les pratiques d’écriture et les représentations sociales de ces élèves, anthropologiquement modelés, ont un impact sur les clivages de groupe, sur leur Psychologie sociale et cognitive . Parallèlement, l’étude comparative d’un même outil –l’herminette néolithique mélanésienne et celles des charpentiers de marine du 18ème siècle, quand elle se croisent dans les îles du Pacifique- montre que les Insulaires adoptent immédiatement les lames métalliques européennes sur leurs herminettes ; néanmoins, pour eux, le métal n’est qu’un matériau plus performant que la pierre : l’épistémè locale et le système social correspondant demeurent solides sous les changements de surface (Kilani).

Résumé de la thèse : 

            Les migrations depuis plus d'un siècle ont généralisé les situations de contacts multi/interculturels, amplifié certains de leurs effets déstabilisants, dramatisant les interactions sociales inter- et intra-groupes (cultural, gender, minority, ethnic, subaltern studies, etc). La Lutte Contre les Discriminations (LCD), abordée sous l’angle des inégalités sociales et économiques, mérite aussi une approche anthropologique des normes d’interaction censées régler la cohabitation entre groupes d’appartenance au sein du monde moderne. Frederik Barth a montré que le clivage in-out gouverne les relations de tous les groupes, qu’ils soient primitifs, traditionnels ou modernes, en situation de contact culturel avancé ou faible : la discrimination est pratiquement universelle, à plus forte raison dans ce contexte dont la mobilité est le trait saillant et –peu ou prou- la norme sociale. J’étais à la retraite, et me souvenais que ma famille avait traversé les épreuves de l’exil, du dénuement et de la guerre, en un temps où les étrangers n’étaient pas reçus comme maintenant. Cette expérience partagée, en cette période où les récits à caractère autobiographique suscitaient l’intérêt des Sciences Humaines et Sociales, m’a poussée à reprendre, en Sociologie, une étude du monde contemporain -carrefour de tous les temps, de tant d’espaces et de langues… Dans le laboratoire où j’ai pu m’inscrire en Doctorat, Ewa Bogalska-Martin dirigeait l’équipe ‘Discriminations, Inégalités & Justice sociale’, qui venait d’effectuer une enquête à partir de 85 entretiens.

           Ces matériaux étaient en continuité avec mes travaux précédents : je pouvais tenter d’analyser ces textes à l’échelle d’observation individuelle que je pratiquais dans mon métier ; saisis à la source et sur le vif, car rapportés par les acteurs-narrateurs eux-mêmes, transcrits in extenso, ils étaient bâtis sur un protocole identique très souple de questions : traitant le même scénario de préjudice subi et de recours en justice, ils étaient donc comparables en tant que récits d’action. Selon Glaser & Strauss « Toute action posée par un acteur doit être examinée à la lumière de l’interprétation que celui-ci en donne ». Cette base empirique autobiographique m’a semblé constituer une plateforme subjective d’observation du contexte social précieuse pour éclairer les facteurs anthropologiques, culturels et sociaux où se nouent les conflits d’interprétation et d’intérêt impliqués par la coexistence de chacun parmi les autres.

           Par ailleurs, ces entretiens sont très denses en informations et en émotions. Pourquoi ? Invité à revenir sur son expérience –une attente déçue-, le Narrateur saisit intuitivement le fil des événements qui lui reviennent en mémoire, en réponse ou en écho à ce qui a noué son problème : ainsi reconfigure-t-il, comme dit Ricoeur , les facteurs et les acteurs qui ont concouru à chaque épisode.  Quand il se focalise sur la temporalité spécifique du récit et son intentionnalité, sur les incertitudes, et sur ce qui s’est réellement passé (Boltanski) entre les protagonistes, l’analyste relève des observables textuels précis,  factuels ou expressifs -un retour mémoriel surprenant, une insistance...-  montrant que la narration est un acte cognitif, qui a mis en jeu l'agentivité et la réflexivité de l'acteur, et l’a peu ou prou transformé : entre le début et la fin de son histoire, au milieu, comme l’a dit Aristote, s’est produit en lui un gain en discernement. Les perspectives ouvertes par le Tournant Linguistique soutiennent une Sociologie plus descriptive que conceptuelle : l’analyse narratologique et actantielle (inspirée de Propp et de Greimas) assure une approche méthodique précise et contrôlable du texte. Je fais l’hypothèse que les processus narratifs et discursifs mis en œuvre dans le récit par l’acteur visent à explorer la coproduction sociale de la discrimination, l’aident à saisir sa propre implication dans le phénomène, lui font découvrir son agentivité et sa liberté. L’analyse de chaque entretien nous engage à examiner le monde social à la lumière de ce qu’a signifié son histoire pour lui ; il n’est pas qu’une victime et il peut inspirer d’autres dispositions pour mieux lutter contre les discriminations : une autre forme de reconnaissance.