[Report] La Stratégie Nationale pour l’IA, un aboutissement du processus de siliconisation de l’ESR français

Les réformes de l’ESR s’étant succédées depuis le tournant du millénaire ont fait l’objet d’une vaste littérature sociologique traversée de nombreux débats portant notamment sur point de savoir si ces réformes ont ou non été le « fer de lance d’une internationalisation néolibérale de la politique scientifique française » (Giry et Schultz, 2022) promu par le fameux Consensus de Washington.

A partir du croisement d’un certains nombre de travaux issus de la littérature en sociologie de l’enseignement supérieur et en sociologie des sciences, ainsi qu’au travers d’une analyse documentaire des prises de positions publiques et des rapports afférents aux réformes de l’ESR depuis le début des années 2000, ce chapitre propose de désaxer ces débats en procédant à un travail de réinterprétation analytique du processus de transformation de l’ESR des deux dernières décennies tel que prolongé aujourd’hui par le déploiement de la Stratégie Nationale pour l’IA (SNIA). En particulier il défend l’idée que si le moteur des réformes adoptées successivement depuis ses 20 dernière années s’ancre dans la double préoccupation nationale de conjurer la provincialisation des élites françaises au sein du champ du pouvoir économique mondial et de renforcer la contribution de la recherche publique au dynamisme industriel, leur orientation à largement été déterminé par l’infusion dans les instances internationales et parmi les réseaux réformateurs français d’un nouveau consensus économique implicite ayant discrètement mais sûrement pris la suite du Consensus de Washington : le Consensus de la Silicon Valley (Piore, 2016 ; Durand, 2020)

Ce travail soutient ainsi que la SNIA s’inscrit dans la continuité d’un processus de siliconisation de l’ESR vieux de deux décennies, entendu comme une dynamique de mise en concurrence technopolistique de l’ESR inspirée par l’exemple de la silicon valley et ambitionnant de favoriser la participation de la recherche publique à une innovation technologique aujourd’hui prioritairement conçu comme numérique. Comme permet de le constater le cas de la recherche et de la formation publique en Intelligence Artificielle, il résulte de cette réorganisation de l’ESR dominée par l’exemple de la silicon valley une tendance à l’hétéronomisation du champ de la recherche publique concernant les disciplines considérées par le champ économique et le champ politique comme étant les plus prometteuses sur le plan technologique et industriel.