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Soutenance HDR / Justice sociale
Le 26 mars 2025

Fabriquer le « nous » : vers des villes et des territoires inclusifs
Ce mémoire inédit d’Habilitation à Diriger des Recherches propose, à partir de l’approche de genre, une contribution à la fabrique de la ville et des territoires inclusifs. Le principe liminaire posé peut paraître banal : « les autres, c’est nous ». Toutefois, ce postulat revêt un caractère subversif au regard de l’intensification des processus de catégorisation présents dans l’action publique, révélant les imbrications multiples des rapports de pouvoir qui se déploient à travers les espaces. Ces derniers participent à la construction des différences de genre, d’origine, d’appartenance sociale, religieuse et culturelle, tout en façonnant les territoires et en amplifiant les mécanismes de spécification, au détriment d’une approche inclusive. Pour étayer ce propos liminaire, le présent essai présente trois fils conducteurs issus de mon parcours.
Le premier s’attache à regarder « ce qui fabrique les normes de genre ». À cet égard, les éléments contribuant à maintenir l’agencement spatial d’une domination masculine hégémonique et viriliste sont explicités. Ils se dévoilent au premier coup d’œil dans l’espace, dans les toponymes, sur les murs, dans les pratiques quotidiennes et dans les imaginaires spatiaux révélant l’imbrication des dynamiques de pouvoir en place. Qu'il s'agisse des urbanités émancipatrices ou des ruralités, souvent injustement considérées comme étant en dehors de ces enjeux, un tel agencement ne saurait être pleinement compris sans une prise en compte de la colonialité des rapports de genre. Il tisse la sexualisation de l'appropriation des corps et orchestre la place dévolue à chaque corps dans l’espace, de manière implicite ou ouvertement manifeste, et hiérarchise non seulement les corps entre les genres, mais également à l'intérieur de chaque genre. Il légitime ainsi des régimes de genre où prédominent les stratégies d’évitement, la négociation, l’inconfort, la vulnérabilité, la violence. Les inégalités de genre ont ainsi été perçues comme un problème public depuis 30 ans, à la demande de la société civile, guidées par des approches inspirées du développement international, fondées sur le renforcement du pouvoir d’agir (empowerment) ou sur l’approche intégrée (gender mainstreaming). Néanmoins, ces prérogatives ont posé les bases d’une approche de compensation et de réduction des inégalités, sans pour autant accompagner une logique de changement culturel sur le nouveau contrat entre les genres.
Le second temps du volume présente ainsi « ce qui contribue à transformer ». En effet, le processus de transformation ne peut être analysé uniquement à travers les politiques urbaines et locales, car son émergence et son élaboration sont indissociablement liées aux actions des collectifs militants, éphémères ou pérennes, des associations, des coopératives, des réseaux, ainsi qu’à l’expertise scientifique. Ces actions fondent de nouvelles utopies féministes et œuvrent pour la reconnaissance et la spatialisation des imaginaires d’émancipation, ainsi que pour celle des formes d’engagement. Les initiatives pilotes deviennent alors des modèles d’action locale et métropolitaine, contribuant à la mise à l'échelle des actions visant à promouvoir l'égalité des genres dans l’espace et à l’élaboration de référentiels. Elles laissent également entrevoir la possibilité d’un urbanisme et d’un développement local pouvant se qualifier d’égalitaire ou de féministe. La récente organisation publique contribue ainsi à sa normalisation, sans pour autant, à ce stade, la standardiser. Ce constat témoigne de la persistance des résistances au changement soutenues par une culture dominante rétive au champ de l'égalité dans le domaine de l'aménagement et des politiques publiques. Cela reflète également, les nécessaires agencements élaborés avec le tissu associatif et/ou militant, qui résiste, porte les initiatives et œuvre à l’instauration de dynamiques de transformation. Le recours à l’expérimentation guide ce processus et façonne les principes d’action. Il interroge inévitablement la position de la chercheuse et une politique de l’expérience intégrant un nécessaire « nous ». Cela se traduit par des actes de socialisation et de visibilisation susceptibles de prendre des formes organisées de dispositifs de coproduction, de design social (women’s living lab), d’esquisses telles qu’une StoryMaps (genre et ville), susceptible d’explorer des approches plus alternatives, comme des médias revisités ou des contre-cartographies féministes.
Un troisième temps de cet écrit, à caractère exploratoire, interroge « ce à quoi il convient de prêter attention » pour envisager une prospective urbaine et territoriale égalitaire et inclusive. L'une des propositions consiste à adopter des approches croisées du genre, du care environnemental et des territoires. Au cœur de la démonstration se trouve une prise en compte essentielle de la responsabilité et de l'hospitalité. L'attention portée par les femmes et les féministes à la fabrique de l'espace y joue un rôle central. Leur implication dans les espaces d'urbanisme transitoire et de renaturation, notamment à travers les jardins partagés, en est l'un des principaux marqueurs. Cela reflète une écologisation de leurs pratiques d'engagement et une redéfinition des capacités créées collectivement comme une réponse nécessaire, d'autant plus accentuée en périodes de crises, pour accéder à des ressources alimentaires et contribuer à l'amélioration de la santé et du bien-être. Ces lieux, comme 2 d'autres réinvestis, deviennent également des espaces d'abri et de reprise, en particulier lorsqu'il y a eu déprise, comme dans les cas de violences subies. De plus en plus intégrés dans la planification urbaine, ces espaces communs représentent un moyen de saisir les enjeux liés aux biens communs des femmes et/ou des communs féministes, dans lesquels se croisent des enjeux d'écologie, de justice sociale et de reconnaissance. Ces collectifs ne sont pas en soi un idéal-type, mais plutôt des lieux de la relation, hérités des modèles coopératifs du développement local. Ils ne sont pas exempts de la reproduction des normes de genre, des conflits et des hiérarchisations. Ces initiatives soulignent le rôle clé des femmes engagées, des groupes féministes et des municipalités dans la réinvention du bien commun et d'un nécessaire réinvestissement d'un récit intégrateur. Témoignant de la fragilité intrinsèque de ces actions, qui situent de plus en plus les enjeux de genre dans un continuum entre le privé et le public, allant de la maison à l'espace public, l'approche du care permet de les considérer dans l'opérationnalisation des actes d'aménagement et d'urbanisme. Elle ouvre des perspectives pour penser la notion d'inclusion dans la fabrique d'une ville et de territoires plus attentifs à nous.
Composition du jury
Denyse Côté · Professeure titulaire de sociologie, Département de travail social, Université du Québec en Outaouais
Jean-Christophe Dissart · Professeur en urbanisme et aménagement de l'espace, Institut d'Urbanisme et de Géographie Alpine, Université Grenoble Alpes
Marc Dumont · Professeur en urbanisme et aménagement de l'espace, Université de Lille
Hélène Guétat · Professeure de sociologie rurale, École Nationale Supérieure de Formation de l'Enseignement Agricole de Toulouse-Auzeville
Corinne Luxembourg · Professeure en géographie et aménagement, Université Sorbonne Paris Nord
Emmanuel Matteudi · Professeur en urbanisme et aménagement de l’espace, Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional, Aix-Marseille Université, (Garant)
Sylvie Paré · Professeure titulaire en études urbaines, Département d'études urbaines et touristiques, Université́ du Québec j, à Montréal
Date
14h
Localisation
Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires (IMVT)
Contact
sophie.louargant [at] univ-grenoble-alpes.fr
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