La conception urbaine comme levier des transitions écologiques et sociales : outils inclusifs dans les processus de prise de décision en urbanisme

De manière générale, les recherches d’Inès Ramirez-Cobo s’articulent autour des évolutions des processus de conception et de transformation des espaces habités à l’heure des incertitudes contemporaines (environnementales, démocratiques, sociotechniques). Dans le cadre de cette séance, elle présentera un projet de recherche en cours (Eco-Urban Bayes), s’intéressant aux outils de prise de décision en urbanisme dans un contexte marqué par des impératifs de transition socio-écologique, d’adaptation et de résilience des territoires. 

Si, d’une certaine façon, tout exercice de conception urbaine constitue une tentative de composer avec l’incertitude, les pratiques d’urbanisme ont pu varier en essayant (a) de la maitriser (urbanisme de programme) ; (b) de l’intégrer à travers des processus plus ou moins souples (urbanisme de projet) ; ou bien (c) de l’instrumentaliser en recourant à l’expérimentation, au test et au prototypage (urbanisme tactique et/ou éphémère). Toutes ces pratiques impliquent une variété d'acteurs (techniques, démocratiques, économiques) disposant d'un certain pouvoir et capables d’orienter les projets en fonction de leurs propres connaissances et outils. Parmi ces outils, figurent des nouvelles formes de modélisation statistique. Ce recours à la science des données est souvent présenté comme « dépourvu de subjectivité » et « apolitique », et supposé assurer une certaine efficacité de la planification et des projets urbains à travers la simulation et l’évaluation (par ex. la cartographie analytique « The Affordable Housing Atlas », de l’agence 300 000 Km/s), la prédiction et l’optimisation (par ex. l’outil de prédiction de l’impact de formes et caractéristiques physiques urbaines sur les conditions climatiques « MESH 2C », de l’atelier Frank Boutté ), ou le diagnostic et la visualisation (par ex. le « portrait donut », de la Ville de Grenoble). Ce faisant, cette approche « scientifique » de l’urbanisme s’inscrit dans des stratégies dites de « réduction » (Bourg et Hess, 2010) des incertitudes urbaines par le truchement de démarches proactives d’anticipation des événements dommageables pour précisément en réduire l’intensité via un apport technologique, mais aussi à travers un infléchissement des comportements des acteurs du territoire. Or, si dans ces puissants modèles la place des nouvelles technologies dans le traitement des données massives est assurée, celle des comportements qui pourraient favoriser une transformation socio-environnementale radicale « résolument démocratique et renouvelant les relations entre humains et non-humains » (Banos et at., 2023) reste beaucoup plus marginale et difficile à traiter. Par ailleurs, les processus participatifs à l’échelle de la conception urbaine (quartier ou ensemble d’îlots) se trouvent toujours très peu assistés par des modèles d’aide à la décision, alors même qu’il s’agit d’une phase clé des projets urbains pendant laquelle se définissent le programme, la matérialité, et les usages des futurs espaces de vie : c’est-à-dire, le moment où la mise en visibilité des enjeux urbains pourrait jouer un rôle transformateur dans la manière d’imaginer les territoires habités de demain.  

Mené dans l’interdisciplinarité avec une équipe de mathématiciens, ce projet cherche à comprendre la place de la modélisation dans l’urbanisme et l’aménagement du territoire sous le prisme des incertitudes radicales, et observe ses usages ainsi que les processus à travers lesquels les modèles se construisent. Il participe également au développement des méthodes d’analyse statistique intégrant une combinaison d’approches qualitatives et quantitatives, visant des outils d’aide à la conception urbaine davantage inclusifs, transparents et « justes ». De cette manière, ce travail a pour objectif de revisiter l’outillage d’un « urbanisme de l'incertitude », non seulement pour la réduire ou la gérer, mais aussi pour mieux comprendre le processus d’apprentissage collectif issu des différents scénarios d’adaptation qu'elle génère dans le cadre de la réalisation des projets urbains.